La voiture électrique cause une énorme pollution minière

Marre du lavage de cerveau médiatique concernant la propreté des voitures électriques ?

Voici trois articles qui pour une fois me semble honnêtes et équitables concernant la voiture électrique.
Bonne lecture !

La voiture électrique cause une énorme pollution minière

Durée de lecture : 15 minutes
2 septembre 2020 / Celia Izoard (Reporterre)
https://reporterre.net/La-voiture-electrique-cause-une-enorme-pollution-miniere

[VOLET 2/3] — Grosse émettrice de gaz à effet de serre, la construction des voitures électriques consomme aussi une très grande quantité de métaux.
Lithium, aluminium, cuivre, cobalt… le boom annoncé de la production de « véhicules propres » réjouit le secteur minier, l’un des plus pollueurs au monde, et promet un enfer aux populations des régions riches de ces matières premières.

Cet article est le deuxième d’une enquête en trois volets que nous consacrons à la voiture électrique.
Le premier volet, sur les émissions de gaz à effet de serre : « Non, la voiture électrique n’est pas écologique ».


« Comment justifier de détruire des territoires comme le bassin des Salinas Grandes et la lagune de Guayatayoc, occupés par quelque 7.000 habitants, 33 communautés autochtones et ethniques, et tout un mode de vie fondé sur la coresponsabilité et la démocratie directe, comment donc justifier cette destruction au nom de la lutte contre la pollution de l’air dans des villes, une contamination à laquelle ces communautés n’ont pris aucune part ? »
Interrogé sur l’exploitation du lithium, telle est la question que nous renvoie Roger Moreau, ancien militant du Larzac, installé depuis quelques décennies dans la province de Jujuy, dans le nord de l’Argentine, à l’épicentre de la ruée sur le lithium provoquée par le déploiement programmé des véhicules électriques.

Ici, les communautés qollas vivent sobrement de l’élevage de lamas et de brebis, d’extraction artisanale de sel, d’artisanat et du tourisme. Sur ces hauts-plateaux des Andes, à plus de 3.000 mètres d’altitude, l’entreprise canadienne LCS s’apprête à exploiter près de 180.000 hectares de lagunes et de salars, ces lacs de sels asséchés dont on extrait le lithium contenu dans les batteries d’ordinateur, de téléphone et de voitures électriques.
Une batterie de Renault Zoe peut contenir 8 kg de lithium, une Tesla 15 kg (contre 300 g pour un vélo électrique).
« Tous les moyens sont bons pour maintenir le mode de vie des États-Unis et de l’Europe, qui, s’ils étaient généralisés, nécessiteraient trois à cinq planètes »

Bien qu’elles n’aient pas toutes de titre formel de propriété, les communautés locales sont en théories souveraines sur ces terres ancestrales collectives, et se prévalent des droits des peuples autochtones reconnus par l’Organisation internationale du travail (OIT) et par les Nations unies imposant le « consentement libre » des habitants avant tout projet.
En 2019, après une série de pétitions, quelque trois cents personnes ont procédé à l’expulsion d’une équipe de forage venue commencer les travaux d’exploration. Les blocages routiers se sont succédé pour informer la population.
« Au lieu de remettre en question un mode de développement responsable de nombreuses crises contemporaines et de désastres annoncés qui augmentent à vue d’œil », déclare l’Assemblée des communautés autochtones du peuple qolla de Salinas dans son prospectus sur le lithium, « tous les moyens sont bons pour maintenir le mode de vie des États-Unis et de l’Europe, qui, s’ils étaient généralisés, nécessiteraient trois à cinq planètes.
L’extraction de lithium dans les salars est une catastrophe écologique, et non un simple désagrément qu’on pourrait compenser par des dons aux communautés ».

Dans ces régions parmi les plus arides au monde, les mines de lithium évaporent à grande allure les rares ressources en eau.
Sur le site d’Atacama, au Chili, les miniers prélèvent près de 200 millions de litres par jour.
Le pompage de la saumure du sous-sol riche en lithium crée un vide qui fait migrer vers les profondeurs l’eau douce disponible.
« Cette double perte d’eau abaisse le niveau de la nappe phréatique, assèche le sol et la végétation au détriment des animaux, des cultures et des gens », expliquent les Qollas.
À quoi s’ajoutent les traitements au chlore et la dispersion dans les eaux des déchets de pompage mêlés à des solvants, qui détruisent des micro-organismes dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu’ils sont les organismes vivants les plus anciens de la planète [1].
Or toutes les mines actuellement en production annoncent un doublement ou un triplement de leurs activités pour se positionner sur le marché du lithium, dont la demande pourrait croître de 18 % par an d’ici à 2025 [2].
Transférer aux métaux la demande de puissance qui reposait, depuis le début de l’industrialisation, sur les énergies fossiles

Le cas du lithium est emblématique du principe de la transition écologique, telle que le décrit la Banque mondiale dans un rapport de 2017 [3].
Pour nous assurer un avenir « bas carbone », il n’est manifestement pas question de revoir à la baisse le mode de vie des pays riches : tout l’enjeu va consister à transférer aux métaux la demande de puissance qui reposait, depuis le début de l’industrialisation, sur les énergies fossiles (charbon et pétrole).
Compte tenu des technologies déployées — photovoltaïque, éoliennes, numérique et réseaux, véhicules électriques —, certains métaux sont particulièrement cruciaux : cuivre, argent, aluminium, nickel, terres rares…
Et tout le paradoxe de la voiture électrique, deux fois plus polluante à produire que la voiture thermique, est contenu dans cette synthèse : « Les technologies qui pourraient permettre le passage à une énergie propre s’avèrent en réalité PLUS intensives en matériaux dans leur composition que les systèmes actuels fondés sur les énergies fossiles. (…)
Pour le dire simplement, un avenir fondé sur les technologies vertes exige beaucoup de matières premières qui, si elles ne sont pas correctement gérées, pourraient empêcher les pays producteurs d’atteindre leurs objectifs en matière de climat et de développement durable. »
En d’autres termes, les technologies vertes ne sont pas vertes, en grande partie parce qu’elles reposent sur l’industrie minière, réputée la plus polluante au monde [4].

Par exemple, pour compenser le poids des batteries des véhicules électriques, qui, s’il n’était pas contrebalancé, les rendrait trop énergivores, les constructeurs ont augmenté la part d’aluminium dans les carrosseries, jantes, boîtes de vitesse.
Mais alors qu’une voiture particulière, dans l’Union européenne, contient déjà aujourd’hui en moyenne 179 kg d’aluminium, l’Audi e-tron, un SUV électrique, en enferme 804 kg !
Or la production d’aluminium consomme trois fois plus d’énergie que celle de l’acier, et que cette production est très émettrice de gaz à effet de serre (CO2 et perfluorocarbonés) [5]

Et pas seulement. Aurore Stéphant, ingénieur géologue minier pour l’association Systext, qui vient de lancer un programme de recherche sur les conséquences environnementales des « métaux de la transition », explique : « Pour obtenir de l’aluminium, la première étape est de mettre la bauxite en solution avec de la soude. On chauffe ensuite le précipité à 1.200 °C. Ce traitement est à l’origine de gigantesques digues de résidus : ces barrages, qui retiennent les déchets miniers liquides au creux des vallées, stockent donc l’équivalent des bidons de soude qu’on utilise pour déboucher les toilettes, mais à des concentrations encore supérieures.
C’est ce qu’on appelle les “boues rouges”. Comme les autres digues de résidus miniers, elles cèdent régulièrement, avec des conséquences inimaginables. »
En octobre 2010, sur le site de production d’aluminium d’Ajka, près de Kolontar, un barrage a rompu, provoquant la plus grave catastrophe de l’histoire de la Hongrie : un raz-de-marée de plus d’un million de mètres cubes de résidus a déferlé sur sept villages, un millier d’hectares de sols et 10 millions de m³ d’eau ont été contaminés, dix personnes sont mortes et près de 300 ont été grièvement brûlées à la soude.
Au cours des dix dernières années, dans le monde, pas moins de quatre accidents de ce type se sont produits dans des mines de bauxite [6].

200.000 creuseurs, dont des enfants privés de scolarité « payés un à deux dollars par jour »

Pour électrifier les véhicules, il faut aussi du cuivre. Il y en a quatre fois plus dans une voiture électrique (environ 90 kg) que dans une voiture à essence, sans compter l’infrastructure de recharge — une prise pouvant alimenter 120 véhicules en contient près de 100 kg [7]. Le problème du cuivre, c’est qu’on le trouve naturellement associé à de nombreux métaux, dont une bonne partie sont très toxiques, comme l’arsenic, le plomb ou le cadmium.
Exploiter du cuivre implique donc de disperser ces autres métaux dans la nature sous forme de vapeurs, d’émissions de particules ou par le ruissellement des résidus.
À ce problème s’ajoute le fait que les teneurs en cuivre, c’est-à-dire la quantité présente dans la roche, ont énormément baissé du fait de la surexploitation des gisements : rien qu’entre 1990 et 2008, elles ont été divisées par deux.
Il faut donc extraire et traiter chimiquement des volumes toujours plus importants de roche pour l’extraire.
Ainsi, les mines de cuivre accumulent des volumes toujours plus gigantesques de déchets, ce qui augmente d’autant les pollutions et le risque de rupture de digues chargées de boues toxiques, etc.
Pour avoir une idée de l’ampleur de la production existante et des problèmes qu’elle pose déjà, il faut penser qu’on produit aujourd’hui, avant le boom des véhicules électriques, trois cents fois plus de cuivre que dans les années 1960 [8].

Outre le lithium, les batteries contiennent des cathodes de cobalt, dont plus de la moitié provient du Congo-Kinshasa, où il est exploité conjointement avec le cuivre.
Depuis plusieurs années, le fameux « métal bleu » a été placé sous le feu des projecteurs par les ONG : une partie du minerai est extrait par quelque 200.000 creuseurs, dont des enfants privés de scolarité « payés un à deux dollars par jour », et revendu à des firmes chinoises qui assurent la majorité de l’affinage [9].
Fin 2019, à la suite de la mort de quatorze enfants, l’International Rights Advocates, à Washington, déposait une plainte visant plusieurs entreprises dont Apple, Alphabet (Google) et Tesla.
Face à cette situation connue depuis plus d’une dizaine d’années, mais aussi à la suite du relèvement de la taxe sur l’extraction par le gouvernement congolais (passée de 3,5 à 10 %), les constructeurs tentent de diminuer la quantité de cobalt dans les batteries.

Pour en utiliser moins, Renault a ainsi choisi une technologie NMC (lithium-nickel-manganèse-cobalt) contenant moins de cobalt, mais très dépendante du lithium, du nickel et du manganèse.
Mais, là encore, le problème est moins résolu que déplacé.
Les approvisionnements sont sécurisés par le fait que le nickel provient de Nouvelle-Calédonie, colonie française et le manganèse du Gabon, ancienne colonie française, où il est exploité par Eramet depuis les années 1960.
En revanche, l’extraction du manganèse a provoqué dans la région du Haut-Ogooué, dans l’est du Gabon, une situation sanitaire catastrophique.
Dans un mémoire en gestion durable des mines réalisé pour l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement, Grâce Mélina Mengue Edoh Afiyo nous la décrit : « Depuis le début de l’exploitation à Moanda en 1962, tous les déchets miniers de l’exploitation du manganèse ont été rejetés dans la rivière Moulili par le fait du ruissellement des eaux de pluie.
Ces déchets représentent une quantité absolument colossale, des millions de tonnes accumulées année après année dans cette rivière. (…) L’envasement de la Moulili a engendré la disparition totale de toute vie aquatique dans ce milieu.
En effet, les poissons qui selon les populations y étaient abondants ont laissé place à une vaste étendue d’eau boueuse et nauséabonde [10]. »
Les eaux de surface seraient polluées à l’acide sulfurique, au cyanure, au mercure et à l’arsenic, mais une partie de la population n’a d’autre choix que de continuer à les utiliser pour le trempage du manioc.
Si Eramet a commencé à contenir ses résidus miniers dans des digues à partir de 2006, les boues toxiques continuent à ruisseler lors des fortes pluies et s’infiltrent dans les sols, faute de membranes au fond de certains bassins.
Du fait de la déforestation, « il faut aujourd’hui faire plus de dix kilomètres pour aller chasser », constate l’auteure, et les quantités d’eau pompées « arrivent même à assécher des puits et des sources ».
Qu’en sera-t-il après le boom des véhicules électriques ?
« Pour l’instant, le recyclage en boucle fermée des batteries lithium-ion en Europe n’existe pas »

Faut-il s’inquiéter des effets de cette demande croissante en métaux, qui, selon la Banque mondiale pourrait augmenter de 1.000 % pour les batteries électriques [11] ?
Aucunement, assure le ministère de la Transition écologique sur un petit schéma destiné à inciter le grand public à acheter une voiture électrique, car « 80 % des batteries sont recyclables ».
Les mots sont importants, et cette formulation ne doit rien au hasard : recyclables ne signifie pas recyclées.

La directive européenne de 2006, en cours de révision, impose le recyclage de 50 % de la masse de la batterie.
« Nous allons jusqu’à 70 % », assure Alain Le Gougenc, porte-parole du groupe PSA.
Mais, sur une batterie de 300 à 600 kg contenant une bonne quantité d’acier et de plastique, les métaux les plus polluants sont-ils recyclés ?
En tout cas, pas le lithium, trop peu cher à l’achat : « Les compagnies minières ont une politique de surproduction qui fait baisser le coût des matières premières, explique Alma Dufour, des Amis de la Terre.
L’État pourrait imposer le recyclage du lithium, pourquoi ne le fait-il pas ? » « Pour l’instant, le recyclage en boucle fermée des batteries lithium-ion en Europe n’existe pas, constate Olga Kergaravat, ingénieure spécialiste des batteries à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
D’autant plus que, du fait du contexte concurrentiel très tendu entre fabricants, elles sont toutes différentes. Ce serait déjà plus imaginable si elles étaient standardisées… »

Faute de modèle économique pour le recyclage des métaux, qui nécessite en outre des techniques intensives et polluantes comme l’hydrométallurgie et la pyrométallurgie, la Société nouvelle d’affinage des métaux (Snam), en Aveyron, s’oriente vers le réemploi des batteries pour stocker de l’énergie, par exemple pour lisser les apports intermittents des énergies renouvelables.
À ce jour, le projet n’est que timidement engagé, et pourtant, depuis des années, les analyses quantifiant les effets globaux des véhicules électriques sont d’autant plus optimistes qu’elles comptabilisent ces économies d’énergie dans leurs bilans.
« Les VE (véhicules électriques) et leurs bornes de recharge peuvent par exemple être un maillon dans l’introduction des énergies renouvelables, le stockage stationnaire de l’énergie ou permettre des expérimentations avec des bâtiments à énergie positive, voire à l’échelle de quartiers », anticipe l’Ademe [12].
La perspective de ce « cercle vertueux » entre smart grids, compteurs communiquants et électromobilité a grandement contribué à la réputation de viabilité écologique des voitures électriques, de même que la promesse d’une « mobilité du futur » dans laquelle elles entreraient en synergie avec les plateformes d’autopartage en ligne et les véhicules autonomes.
Le véhicule électrique et ses promesses sont en réalité fondées sur un programme plus général de numérisation des réseaux et des transports, qui seraient optimisés, comme par une « main invisible », par l’intelligence artificielle et le big data.
C’est un projet de société qui se dessine. Et il est polluant.


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